Stage d’initiation à la Gestion Mentale de mars 2021, assuré par Christine Chambille à Lorient, module mémorisation, réflexion.

Découvrez l’itinéraire d’une stagiaire, qui a découvert les moyens mentaux personnels lui permettant de mémoriser, alors qu’elle se croyait totalement dépourvue de cette capacité.

Mémoire de poisson rouge

Je n’ai jamais eu une bonne mémoire, particulièrement quand il fallait apprendre par cœur. Les souvenirs de leçons à réciter le soir devant ma mère (elle voulait absolument le texte mot pour mot) ne sont pas de bons souvenirs. Sale petit rectangle jaune ! Il contenait le résumé de la leçon qu’il fallait recracher sans faute. Je me le disais à voix haute, je me le répétais une fois, dix fois… sans conviction. Il y avait tout au plus cinq ou six lignes à la fin du chapitre de mon manuel mais je n’aimais pas ces mots, ils n’étaient pas les miens et puis de toute façon, je déteste le jaune.

Mon père, lui, avait une mémoire d’éléphant. Il était passionné par l’histoire. Il se faisait gloire de connaître chaque détail, chaque jour, chaque bataille, chaque général des campagnes napoléoniennes. Il me torturait à coups de questions dont je ne trouvais jamais les bonnes réponses, celles qu’il attendait bien sûr.  J’ai longtemps détesté l’histoire.

Cette mémoire dont j’étais dépourvue et qui ne m’avait pas été transmise par mon géniteur m’a joué parfois de bien vilains tours. Il m’arrivait de ne pas reconnaître des gens qui, eux, semblaient m’avoir parfaitement identifiée ou de me tromper de prénom, de nom, ou pire encore de faire de fausses reconnaissances. Le jour où je plaquai la bise à Paul dans la rue pour m’apercevoir aussitôt que ce monsieur étonné et un peu distant devant moi était un parfait inconnu, je m’en souviens encore !

La vie se plaisait donc à m’humilier et à me rappeler toutes ces preuves de « non-mémoire », de mémoire défaillante et approximative.

Aujourd’hui encore et toujours, et peut-être encore plus du fait de mon âge (j’ai entamé ma septième décennie depuis plus d’un an) mille et une choses m’échappent au quotidien. J’oublie tout ou presque. Le rendez-vous chez le dentiste, le décès du père de mon collègue (je lui ai demandé comment allait son papa trois mois après l’enterrement ! La honte !), le prénom de mes petits patients… « Bonjour mon loulou, ma poulette, mon lapin… » j’ai tout un bestiaire sous la main pour pallier ma dysmnésie.

Bref, vous l’aurez compris : j’ai la mémoire qui flanche. Ça m’inquiète un peu. Il me faut vous avouer une chose, ma grand-mère, ma mère et ma belle-mère ont toutes eu la maladie d’Alzheimer. Il y a de quoi se ronger les ongles même si on prétend que cette maladie n’est pas héréditaire. Alors, n’étant pas convaincue que vouloir occulter mes troubles mnésiques en adoptant l’attitude de l’autruche qui met la tête dans le sable, était la bonne solution, j’ai décidé de prendre les devants. Autant être fixée et le plus tôt sera le mieux. Je me suis rendue chez le neurologue. Un bilan neuropsychologique et une IRM encéphalique ont été programmés.

Parallèlement, je m’étais inscrite à une formation que je désirais faire déjà depuis fort longtemps. Que ne l’avais-je pas décidé plus tôt ! Il s’agissait de l’initiation à la gestion mentale. Ce sera sans doute une de mes dernières formations avant la retraite.

Me voici donc à Lorient. Le groupe est sympa, je m’y sens tout de suite à l’aise. La formatrice est claire et je fais de mon mieux pour jouer le jeu. Un Poème de Paul Verlaine, « L’heure de berger », nous est proposé. Il s’agit d’essayer d’évoquer ce texte de la manière la plus riche possible, afin de le mémoriser. Le projet sera, si on le souhaite, de le réciter devant le groupe le lendemain. J’utilise tous les moyens proposés, qui étaient en fait à ma disposition sans que j’en sois consciente, pour installer dans ma mémoire ce texte difficile, du mieux que je peux.

Lorsque Christine, la formatrice, nous lit le texte une première fois, je ferme les yeux et une image se forme dans mon esprit. Au fur et à mesure de cette lecture, je complète le tableau avec les éléments qui s’ajoutent. Chaque mot évoque pour moi une image qui vient s’intégrer dans cette scène globale. Pour gérer les éléments plus petits et les détails je réalise un zoom sur l’image.

Ensuite le texte écrit nous est distribué. Je m’appuie sur la métrique et les semblables rythmiques, le nombres de syllabes de chaque vers. Par ailleurs, je repère les semblables sonores, les rimes. Certaines métaphores (encore du semblable !) me séduisent d’emblée, elles me parlent. Une première réactivation nous est proposée quelques heures après. La dernière se fera le soir, chacun pour soi.

La confiance renaît. Et si j’osais ? Allez, un challenge, demain je dirai ce texte de mémoire. C’est un défi à l’éclopée du ressouvenir, à l’handicapée du rappel, à la propriétaire de l’hippocampe rachitique. Je l’ai presque ce texte, il me manque encore l’ordre chronologique à établir clairement car une image ne rend pas compte du temps qui s’écoule. En outre, certaines tournures de phrases, certaines prépositions, les césures… tout cela n’est pas encore au point.

Pas grave, je vais régler tout ça ce soir en rentrant. Je vais essayer d’autres types d’évocations pour parfaire mon apprentissage.

A la maison je décide d’utiliser tous les objets qui sont autour de moi dans un ordre précis régi par une sorte de chorégraphie.

« La lune est rouge (la lampe)

Au brumeux horizon (Quimper au loin dans le gris). Dans un brouillard qui danse (la fumée qui s’élève dans la cheminée) la prairie (le mur vert) fumeuse s’endort (le canapé où l’on peut fumer et s’endormir) et la grenouille (le petit thermomètre à bulles colorées qui flottent dans un liquide) crie (le collège où les élèves font un joyeux tapage pendant les récréations) par (la table avec les assiettes et une part de tarte) les joncs verts (la végétation du jardin) où circule (les voitures qui roulent dans la rue) un frisson…

            Jusqu’au bout j’ai répété ma petite chorégraphie en m’imaginant devant le groupe.

Et… vous savez quoi ? ça a marché ! J’ai réussi à tout redire devant le groupe en visualisant chaque objet et en me revoyant dans mon séjour dansant parmi les objets-liens.

            En fait, j’ai une mémoire qui ne demande qu’à servir, il suffit juste de savoir comment elle fonctionne. C’est plutôt une bonne nouvelle, non ? Je ne vous cache pas que mon désir de réussir m’a boostée.

            On va voir ce que le bilan neuropsychologique va donner maintenant, mais, à priori je suis confiante.

                                                                          Isabelle