Interview de Steve Masson par Roselyne de La Renaudière (IF provence) le 3 juin 2018, à l’occasion du stage de Niveau 2 qu’il a animé à Aix-en-Provence, le 2&3 juin 2018

Steve Masson est professeur en Sciences de l’Education à l’Université du Québec à Montréal. Il intervient régulièrement pour IF Provence depuis la 1ère rencontre entre la Gestion mentale et la neuroéducation, lors d’une journée intitulée « Neuroéducation – Gestion mentale : regards croisés sur l’apprentissage » le 5 juillet 2014.

Un 1er niveau de 4 jours « Mieux comprendre le cerveau pour mieux enseigner : une introduction à la neuroéducation » est proposé à Aix depuis 2015. Il a été complété en juin 2018 par un niveau 2 «Aider les élèves à optimiser le fonctionnement de leur cerveau pour favoriser leur réussite scolaire et leur apprentissage ».

Roselyne : Steve, nous vous remercions d’être une fois de plus parmi nous, qu’est-ce qui fait que vous venez régulièrement sur Aix, quelles sont vos motivations ?

Steve : En tant que professeur à l’Université du Québec à Montréal, je fais de la recherche et je souhaite que celle-ci soit diffusée et qu’elle puisse être utilisée. Je souhaite découvrir de nouvelles choses, en découvrir plus sur le fonctionnement cérébral et en éducation, mais principalement c’est d’aider les élèves qui m’intéressent et la meilleure façon de les aider c’est de passer par les intervenants et les enseignants. C’est donc pour cela que je me déplace et que je fais ces formations aux enseignants. Je crois que, fondamentalement, la recherche peut outiller les enseignants, leur permettant ainsi de faire des choix pédagogiques qui faciliteront ainsi l’apprentissage des élèves. C’est la raison pour laquelle je viens. J’aime rencontrer les enseignants qui font preuve de beaucoup de motivation et de disponibilité pour aider les élèves… Nous sommes présentement le week-end, un dimanche matin plus précisément, et si des personnes viennent à cette formation, c’est clair qu’elles désirent la réussite des jeunes qu’elles accompagnent et donc, si je peux les aider en les outillant à partir de résultats de recherches et de principes appuyés par la recherche, je suis heureux de pouvoir le faire.

R : Vous allez nous faire part de l’avancée de vos recherches ?

S : Mes recherches oui, mais aussi de faНon plus globale des recherches de l’ensemble de la communauté scientifique. Je crois que l’un des changements fondamentaux que l’on aura en éducation au cours des prochaines décennies, c’est l’apport de plus en plus important de la recherche sur les choix pédagogiques. La recherche ne dictera jamais aux enseignants ce qu’ils doivent faire, mais elle peut fixer des points de repПre pour faciliter les choix les plus appropriés pour aider les élèves.

R : Les Оchanges que vous avez avec les enseignants, les Оducateurs vous permettent-ils de mieux cibler vos recherches ?

S : Oui, bien sûr. Les enseignants sont sur le terrain ; ils connaissent bien les difficultés rencontrées par les élèves et ce sont de bonnes pistes pour mener des expériences. On sait que certains apprentissages, notamment les sciences sont très difficiles pour les élèves. Cela nous a menés sur une piste de recherche qui nous a permis de voir que le contrôle cognitif joue un rôle important dans l’apprentissage de certains concepts en sciences. On peut dire que l’enseignant permet un double apport :

• Il nous donne des pistes de recherches sur les problématiques rencontrées par les élèves

• Il peut nous aider à trouver comment des données de recherche peuvent être appliquées dans différents contextes éducatifs.

Chaque enseignant se trouve dans un milieu particulier avec un ensemble de contraintes et donc la recherche ne peut pas être appliquée directement. Il y a toujours une forme de transposition, et les meilleurs pour faire cela, ce sont les enseignants. Oui, les enseignants, les intervenants ont un apport important pour la recherche.

R : Steve, pouvez-vous nous dire pourquoi, au cours de vos formations, vous insistez sur les neuromythes ?

S : Mon premier domaine d’intérêt ce ne sont pas les neuromythes, c’est de mieux comprendre comment le cerveau change quand on apprend et comment on peut aider les élèves. Cependant, je me suis rendu compte que certaines intuitions que l’on avait sur le cerveau étaient non fondées. Ces intuitions non fondées sont ce que l’on appelle des neuromythes. Initialement je pensais que ce n’était pas très grave de croire à ces neuromythes, mais plusieurs discussions m’ont amené à réfléchir et conclure que c’était plus important qu’on pourrait le penser. Si on adhère à certains neuromythes comme l’idée de styles d’apprentissages1, l’enseignant risque de consacrer du temps, de l’énergie, de l’attention pour adapter son enseignement au style d’apprentissage des élèves, et ce temps aurait pu être canalisé vers des stratégies pédagogiques plus efficaces pour aider les élèves. Ces neuromythes peuvent aussi avoir des effets négatifs sur les élèves. Par exemple, si on dit à un élève qu’il est visuel, il sera influencé par cela et la perception qu’il se fait de lui-même en tant qu’apprenant sera influencée. Il croira qu’il est un apprenant visuel et qu’il apprend mieux de façon visuelle et donc, en conséquence, qu’il apprend moins bien de façon auditive, et ceci est non seulement pas appuyé par la recherche, mais cela peut amener l’apprenant à restreindre ses possibilités d’apprendre au contexte compatible avec son style d’apprentissage. En éducation, on ne veut pas limiter les apprenants, on veut au contraire les ouvrir à différentes stratégies d’apprentissage, à différentes possibilités. Nous ne voulons pas de catégorisation d’élèves qui non seulement sont réductrices, mais aussi non fondées par rapport aux connaissances actuelles sur le fonctionnement cérébral. Le risque pour l’élève serait de dire : « je suis visuel, donc les informations non visuelles, je ne peux pas les apprendre ».

R : Diriez-vous que les intelligences multiples sont elles aussi un neuromythe ?

Oui, les écrits scientifiques qualifient les intelligences multiples (IM) de neuromythe. En effet, plusieurs aspects de la théorie des IM ne sont pas conformes aux données actuelles scientifiques que l’on a. Si on dit à un élève qu’il a une intelligence de type verbal, il peut en comprendre qu’il n’a pas l’intelligence mathématique, et que donc les maths ne sont pas faites pour lui. Quand nous pensons que quelque chose n’est pas fait pour nous, que nous n’avons pas la capacité d’y arriver, nous ne fournirons pas l’effort pour y arriver. C’est un neuromythe doublement négatif :

• D’une part, ces IM ne sont pas fondées scientifiquement

• D’autre part, elles restreignent les possibilités des élèves.

Or, on veut qu’ils développent de nouvelles compétences et, en particulier, dans des domaines où il en a moins. On veut que l’élève s’améliore et qu’il ait de la motivation pour améliorer ses compétences moins développées.

1 Lorsque Steve Masson parle de « styles d’apprentissage », il se réfère à des préférences perceptives