1. L’espace et le temps
Dans notre monde, espace et temps ne sont jamais séparés. La dimension spatiale se caractérise par la présence simultanée des lieux, objets, personnes, etc. Sa dimension temporelle se manifeste dans la successivité des événements et situations ainsi que dans la succession des actions. (Le mouvement réunissant ces deux dimensions).
- Evolution sociétale
Depuis le milieu du 20 ème siècle, le monde occidental s’est considérablement spatialisé, offrant aux Êtres humains un espace immense et sans limites à explorer, des objets et des moyens à disposition permanente.
Ces « objets » à notre service sont le plus souvent coupés de leur passé : origine, fabrication, transformation et de leur futur : utilisation à très court terme, facilement.
Nous vivons alors dans une société de rapidité, d’impatience, du « tout, tout de suite », où nous avons de toute évidence moins d’occasions de vivre le temps dans des moments d’attente, de silence et d’ennui. L’espace étant désormais maîtrisé, Il nous faudrait « vaincre le temps » ! Ce changement s’est accéléré dans les années 70.
La tendance spatialisante de notre société va se manifester dans le langage : la langue française a des mots pour parler l’espace (de ce qui est), ce sont majoritairement les noms, adjectifs et déterminants, et des mots pour parler du temps (de ce qu’il se passe), c’est le rôle des verbes, conjugables dans la triple temporalité : passé, présent et futur. Force est de constater la disparition de certains temps du passé (passé simple et passé antérieur) et l’utilisation habituelle du présent pour évoquer un futur : « Nous voyons cela demain ». La fréquente nominalisation du verbe est une autre manifestation de l’actuelle spatialisation de notre société (le dîner, le lire/écrire).
Cette évolution sociétale mérite d’être analysée, en particulier pour les conséquences qu’elle peut avoir dans le monde du travail, mais aussi celui de l’éducation aussi bien familiale que scolaire.
- Actualité du confinement dans le monde du travail
Constats AVANT | APRES |
Espace immense Vécu comme sans limites Accessible Sentiment • De liberté • De puissance | Espace restreint Sentiment • D’emprisonnement • D’impuissance |
Temps restreint – Organisé dans l’action – Planifié – Rempli • « Pas le temps ! » • Stress Contacts humains souvent imposés ! | Temps étiré et vide – Inactivité brutale – Monotonie • Ennui • Désarroi • Angoisse Contacts humains décidés, choisis ! |
Présence à l’autre et à soi totalement différente ! |
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“ Si je résume la différence entre nous deux, fils, moi je suis un optimiste qui dit “demain”, toi tu es un optimiste qui dit « là-bas ». Tu as l’optimisme déployé dans l’espace tandis que moi, je l’ai planté dans le temps. ». Eric-Emmanuel SCHMIT, Ulysse from Bagdad.
Chacun de nous vit sa présence au monde des Êtres et des choses dans l’espace et dans le temps en manifestant des préférences cognitives qui ne se situent pas que dans l’optimisme. Nous ne sommes pas égaux dans la gestion de l’espace et du temps. Ces deux dimensions seront plus ou moins dominantes dans la singularité des processus cognitifs. Elles méritent d’être prises en compte car elles peuvent expliquer des disfonctionnements d’équipe dans le monde du travail.
- L’éducation familiale
Les changements sociétaux que nous avons décrits vont, de toute évidence, influencer le climat familial :
– L’impatience parentale amène certains parents à offrir leurs cadeaux aux enfants bien avant l’événement (anniversaire ou Noël).
– Leur crainte que leurs enfants ne s’ennuient les amène parfois à surcharger leurs emplois du temps et les entraînent dans un rythme accéléré qui peut provoquer des perturbations de l’attention et des comportements d’hyperactivité
– L’absence de rituels, de silence, de moments d’ennui, d’inactivité n’aide pas à la prise de conscience de l’écoulement du temps.
Le silence et l’ennui sont des moments importants pour vivre la conscience de la temporalité et le pouvoir de l’imagination créatrice !
La recherche sur les problématiques d’apprentissage nous permet d’affirmer que nombre de difficultés sont liées à un déficit de temporalité dans la pensée des apprenants. Le temps ne se reçoit pas, il doit être vécu !
- • L’éducation scolaire
Dans sa recherche sur les processus mentaux de l’apprentissage, Antoine de la Garanderie a décrit finement des gestes mentaux incontournables de l’accès à la connaissance : l’attention, la mémorisation, la réflexion, la compréhension et l’imagination créatrice.
Il nous semble important d’analyser la structure temporelle de ces 5 gestes mentaux.
Nous verrons alors que l’impatience générale et le « tout, tout de suite » ne tiennent pas compte de la structure spatiotemporelle de ces activités mentales essentielles dans l’accompagnement des élèves et des étudiants
La temporalité des gestes mentaux
L’importance actuellement accordée à la compréhension/réflexion et la négligence actuelle de la mémorisation et de l’Imagination réduisent considérablement la dimension temporelle de l’activité mentale et mettent l’attention en implicite. L’attention est la porte d’entrée de toute l’activité mentale, sans elle nul espoir de compréhension et de réflexion !
D’autre part, la réflexion et la compréhension ne peuvent se vivre sans une mémoire, constituée par le processus de mémorisation.
Les croyances sur ce geste mental de mémorisation qui laissent à entendre qu’il ne servirait à rien si l’objet n’a pas été compris sont dévastatrices ! Ce geste peu sollicité met en péril la réflexion car on ne peut pas réfléchir sur rien !
Le rôle de la mémorisation est de donner de l’espoir à la compréhension et du pouvoir à l’imagination créatrice !
Les deux gestes les plus riches de temporalité sont assurément la mémorisation et l’imagination créatrice. Tous deux nous projettent dans un futur de motivation. Ils ne sont malheureusement pas les plus sollicités dans notre système éducatif !
Les jugements scolaires portent trop souvent injustement sur la compréhension quand ils relèveraient plutôt de l’attention, la mémorisation ou l’imagination.
2. Des « profils cognitifs »
Nos expériences individuelles et personnelles de vécu de l’espace/temps externe, même si elles sont essentielles, ne sont pas le seul aspect de notre singularité cognitive. Chacun de nous a une façon unique de vivre le sens de sa présence au monde des Êtres et des choses. Cette quête de sens prend des directions, des visées et des moyens individuels qui relèvent d’un « profil cognitif ». Pour définir ces tendances qui nous animent sans que nous n’en ayant vraiment conscience, mais que nous gagnons à explorer et découvrir, A de la Garanderie parle de « projets de sens ». Traits de personnalité cognitives, vibrations de sens, ils sont tous présents en chacun comme des vibrations interactives de sens et s’expriment ou non en fonction des circonstances et influencent nos processus et comportements. Ils se décrivent en couples, comme par exemple :
« Opposant/composant »
Les définitions qu’Antoine de la Garanderie en donne vont aider à comprendre les attitudes de l’opposant et du composant dans les domaines : cognitif, affectif et conatif.
Par exemple, le désir de comprendre et d’élaborer des jugements de comparaison pousse l’opposant à rechercher en premier lieu, dans les liens d’analogie, les éléments de différence, tandis que le composant y recherchera les éléments de similitude. Il est alors question de préférences cognitives, à nuancer pour éviter toute dérive typologique.
Dans l’analyse ici proposée de la situation imposée par le confinement, nous choisissons d’aborder l’influence de 5 de ces couples de « projets de sens » de personnalité cognitive dans la conscience de leur influence dans la dimension individuelle et collective :
Les lister pourrait laisser à penser une hiérarchie, ce qui n’a pas de raison d’être.
Nous en ferons donc une présentation spatiale pour signifier leurs interactions possibles dans la structuration de notre pensée.
Toutes ces « tendances » sont présentes. Tout se joue dans l’interaction personnelles de ces « colorations » en fonction des épisodes de vie.
Reprenons le lien entre l’aspect « cognitif », ici décrit et l’aspect « conatif » de l’être humain dans ce qu’il est amené à agir et entreprendre. Qu’en est-il de ses « finalités et moyens » par rapport aux « autres et aux choses » dans un espace/temps modifié ?
Dans cette situation complexe, pour réconcilier l’espace et le temps et réaccorder les finalités et les moyens, nous avons besoin de nous mettre en situation de mouvement aussi bien physique que mental et retrouver un plaisir d’action guidé selon nos personnalités par l’utilité, l’efficacité, l’esthétique, la fantaisie, le ludique, … et, dans tous les cas, le plaisir d’innover ! C’est bien le moment de « penser autrement » !
Tout commence alors par une « présence imaginative » au monde de cette nouvelle réalité spatio-temporelle.
Nous reconnaissons à certains la présence de leur imagination lorsqu’ils nous donnent à percevoir une production originale très éloignée de ce que nous nous sentons personnellement capables de créer. La créativité n’est pas à confondre avec l’imagination !
L’imagination créatrice est un geste mental à analyser bien en amont de toute production créative. Elle est à la portée de tous, reconnaissable, éducable et entraînable. Ceci n’enlève rien aux grands créatifs que nous admirons tous. Ils ont eu le Génie de s’y adonner seuls, sans y être accompagnés !
« L’imagination est pour tout être humain l’instrument de sa vocation »,
A de la Garanderie.
La « présence imaginative » que nous abordons ici est une façon d’être au monde des êtres et des choses qui se vit différemment en fonction de nos personnalités psycho cognitives. Dans ce que nous avons sommairement décrit de « profils cognitifs » (p6), nous avons fait une distinction entre « découvreur » et « inventeur ».
Tous deux sont en quête d’un manque dans leur attention au monde. Le premier mène une activité mentale pour découvrir ce qui dans le monde existe déjà, mais n’a pas encore été évoqué, le second pour inventer ce qui dans le monde n’existe pas encore. « L’un et l’autre ne vont pas s’arrêter aux similitudes et aux différences qui leur semblent familières, mais prolonger leurs évocations en recherchant d’autres relations auxquelles on n’aurait jamais pensé »
(Vocabulaire de la gestion mentale)
Pour élargir le champ de notre réflexion et ne pas laisser à penser une typologie des « projets de sens », il convient d’envisager toutes les interactions possibles entre ces tendances : découvreur/inventeur, avec les autres/auprès des choses, finalités/moyens, … Une personne peut vivre son imagination créatrice dans la découverte des finalités auprès des choses et l’invention des moyens avec les autres, ou l’inverse. C’est à chacun de révéler la singularité et l’originalité d’expression de sa créativité, mais tout commence par ses processus de pensée.
Cette façon singulière d’être présent au monde ne se limite pas à l’imagination créatrice et va influencer tous les autres gestes mentaux que sont l’attention, la compréhension, la réflexion et la mémorisation.
Rôle de l’Imagination créatrice dans l’activité mentale
Comment vivre sa liberté dans le nouveau contexte Espace/temps,
En tenant compte de ses besoins cognitifs, conatifs, affectifs ?
Quelques pistes :
- Connaissance de ses besoins d’Être, de faire : introspection
- Quelle motivation : fin ou moyens ?
- Réapprendre la simplicité
- Mobiliser son attention : redécouverte du mode de la réalité !
- Déployer son Imagination créatrice : penser autrement !
- Ritualiser la journée : « ici et maintenant »
- Equilibrer la pensée et l’action
- Penser : 4 piliers d’une nouvelle conscience : amour, liberté, joie, confiance !
- Agir : auprès des autres et avec les choses
Quelques verbes d’action :
Positiver : pour soi et pour l’autre !
Témoigner
Echanger
Accepter
Plaisanter
Se réjouir : RIRE !
Se reconnaître
Aider (si possible)
Découvrir
Inventer : créer de ses mains !
« C’est parce que nous avons des mains que nous sommes les plus intelligents des animaux », Anaxagore
Armelle Géninet – MAI 2020